En 1993, Angélica Liddell fonde à Madrid la compagnie Atra Bilis Theatro. Une expression latine que la médecine antique utilisait pour qualifier l’humeur épaisse et noire qu’elle pensait être la
cause de la mélancolie. Un nom comme un programme décliné dans une vingtaine de pièces écrites par cette artiste, auteure, metteuse en scène et interprète de ses propres créations.
Ses mots, d’une poésie crue et violente, sont ceux de la souffrance intime et collective, l’une et l’autre étant indissociables chez Angélica Liddell. Mais ne lui parlez pas d’engagement : elle préfère se définir comme une « résistante civile », guidée par la compassion, l’art de partager la souffrance. En écrivant sa douleur intime, elle écrit celle des autres.
Dans Et les poissons partirent combattre les hommes, ce sont les immigrés clandestins, traversant le détroit de Gibraltar, échoués morts ou vifs sur les plages du sud de l’Espagne ; dans Belgrade, ce sont les habitants d’une ville où l’humiliation le dispute à la colère, où les bourreaux côtoient les victimes, où chacun tente désespérément de se justifier ou de sauver sa peau. Et parce qu’elle affirme ne pas se considérer comme un écrivain, ou parce que les mots ne sont pas toujours à la hauteur de l’horreur, la scène est le lieu idéal pour lui donner corps. Un corps parfois soumis à rude épreuve, malmené, violenté, tourmenté jusque dans sa chair.
Dans ses spectacles, Angélica Liddell constate la noirceur du monde, assume la douleur de l’autre et transforme l’horreur pour faire de l’acte théâtral un geste de survie.